Démocratiser la gouvernance des clubs professionnels.

En cette période d’ébullition électorale, nous vous proposons un petit article de réflexion sur un sujet qui est au cœur de la vie sportive professionnelle, mais qui n’est malheureusement que rarement évoqué: la question du système de gouvernance des clubs professionnels.

En effet, le sport professionnel a ceci de paradoxal qu’il revendique une spécificité par rapport aux autres secteurs de l’économie, devant l’exempter de la réglementation européenne sur le sujet (cette argument a quasi systématiquement été repris dans les litiges avec la commission depuis l’arrêt Walrave en 1974 à celui concernant JM Bosman en 1995), tout en cherchant à intégrer un modèle économique d’entreprise classique.

Au final ce décalage se manifeste par une dichotomie entre les résultats économiques affichés par une entité sportive (censés satisfaire les propriétaires du club) et les titres sportifs (censés réjouir les supporters).

Un club professionnel n’est pas un pot de yaourt.
Face à cela, les supporters d’un club se trouvent dans une situation inconfortable. Ils sont amenés à soutenir des entités économiques sur lesquelles ils n’ont aucun pouvoir de décision, sans pouvoir en changer ou faire jouer la concurrence.

En effet, l’attachement à un club est culturel, et ne tient pas compte d’un éventuel rapport qualité prix ou de performance. A la différence d’une marque de Yaourt quelques soient les résultats sportifs d’un club, les supporters le soutiennent sans possibilité d’en changer.
Même s’ils sont en profond désaccord avec les dirigeants, ils n’auront aucun moyen efficace pour changer le cours des choses, d’où les frustations potentielles.

C’est ainsi que les supporters de Marseille assistent impuissants au rocambolesque épisode de la vente de l’OM, que ceux de Manchester voient leur club racheté par le richissimes Malcolm Glazer déjà propriétaire d’une équipe de Football américain, où que ceux du PSG voient leur club passer des mains de Canal plus à celles d’un fond d’investissement (Colony capital).

Devant ces situation ou en raison des mauvais résultats sportifs, les supporters expriment parfois leur désarroi ou leur mécontement vis à vis de leurs dirigeants par des actes violents ou irrespectueux.
Cette situation incite donc à réfléchir sur la meilleure façon d’offrir un débouché aux supporters en terme de gouvernance. L’importance prise par les entitiés sportives professionnelles dans la vie quotidienne des gens doit inciter voir les clubs professionnel comme de nouveaux lieux où pourrait s’exprimer la démocratie.

Vers une gouvernance démocratique, un homme, une voix ?
A ce titre la façon dont sont gouvernés le Real Madrid et le FC Barcelone peut donner des idées de solution.
En effet à la différence des autres clubs professionnels de la planète, ce sont les « socios » (selon le principe 1 homme, 1 voix) qui élisent le président et le projet sportif du club qu’il présente. C’est ainsi que Lorenzo Sanz a été démocratiquement battu en 2000 par le candidat d’opposition Florentino Perez et son projet sportif à base de « galactiques ».

Ainsi l’on pourrait imaginer une adaptation du système au niveau européen, qui obligerait les grands clubs a disposer d’une gouvernance démocratiquement élue par les « socios » du club (périmètre et modalités à définir bien sûr). Ces derniers pouvant ainsi périodiquement reconduire ou au contraire sanctionner une direction.

Ce système présenterait de nombreux avantages.

  • Cela réintroduirait la dimension sportive au cœur de la gouvernance, les socios étant normalement plus sensibles aux trophées glanés au cours d’une saison qu’au compte de résultat, sans exclure la dimension économique dans la mesure où un président qui mettrait son club en banqueroute n’aurait plus forcément le soutien des socios.
  • Cela éviterait les gestions à la « petite semaine », donnant ainsi à la direction une visibilité à 4 ans par exemple pour construire un projet, ce qui pourrait se traduire par la mise en place d’un staff technique dans une perspective de durée (et ainsi éviter les valses d’entraîneurs après trois journées et autres instabilités chroniques).
  • Cela offrirait un débouché pacifique à l’expression des supporters, qui auraient un bulletin de vote pour exprimer leur désaccord profond avec l’équipe dirigeante sans avoir à en venir aux extrémités que l’on peut déplorer régulièrement.

Par exemple si ce système était en place, il y a fort à parier que l’équipe dirigeante du FC Nantes aurait déjà été éconduite en raison des mauvais résultats des canaris depuis plusieurs saisons.

Le sport professionnel est une activité spécifique par rapport au reste de l’économie. Osons mettre en œuvre concrètement cette affirmation en modifiant la gouvernance des clubs sportifs professionnels.

Yannick, le Docteur ès sport

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9 Responses to “Démocratiser la gouvernance des clubs professionnels.”

  1. Encyclosport dit :

    L’idée me plaît beaucoup effectivement… A-t-on idée de combien les socios déboursent par an pour disposer de cette voix pour élire l’équipe dirigeante ? Disposent-ils après de tarifs préférentiels pour les matches de leur équipe ?

    Je crois également savoir que l’équipe de football américain des Green Bay Packers fait figure d’exception sans le sport professionnel nord-américain avec des supporteurs actionnaires de leur club. Mais sont-ils propriétaires de la totalité du capital ? Voilà quelque chose que j’ignore…

  2. admin dit :

    Pour le barça le carnet de socios coûte 324 € par an. Il donne droit à une réduction sur l’abonnement à l’année, mais surtout la possibilité de « réserver » les matchs que l’on souhaite dès le début de la saison plus divers autres avantages.

    Dans le prolongement de mon article on pourrait imaginer un carnet de socios de 100 € environ par an (cela paraîtrait raisonnable pour la France au moins) avec par exemple une ancienneté de 3 ans pour pouvoir voter.

  3. Yo dit :

    Je vois que vous semblez très calés sur le système des socios!
    J’ai quelques petites questions à vous poser :
    – Combien de clubs en espagne ont recours à ce système ? juste le real et le barca? On entend beaucoup parler de socios en Espagne, mais très peu d’élections de Président… n’y a-t-il que le real et le barca qui pratiquent cela?
    – a partir de quelle ancienneté les socios peuvent-ils voter à l’élection du Président?
    – Quelles sont les différences avec le système anglais de Supporters Direct?

  4. admin dit :

    Bonjour, par rapport à vos questions :

    – en Espagne depuis une loi des années 90 ( la ley del deporte) seulement 3 clubs pour des raisons historiques possèdent encore ce système de socios avec élection du Président du club.
    le Real Madrid, le FC barcelone et l’Athletic Bilbao.
    il faut savoir que ces trois clubs ont toujours évolué depuis 1928, date de la création du championnat professionnel espagnol, en première division.
    les autres clubs doivent obligatoirement avoir le statut social de SAD (sociedad anonima deportiva) qui impose une répartition du capital social classique d’entreprise avec un droit de vote réparti en fonction du nombre d’actions possédées.
    Les actions de ces clubs peuvent s’acheter ou se vendre comme celle de n’importe quelle entreprise.

    Un club de niveau non professionnel (segunda B = troisième division) qui est promu en deuxième division a deux ans pour se mettre sous forme de SAD sous peine de relégation administrative, c’est par exemple ce qui est arrivé au Burgos CF il y a trois ans.

    – au niveau de l’ancienneté, je ne peux vous répondre mais il doit y avoir clairement un délai pour éviter les abus ou les mouvement pré-électoraux

    – je ne connais pas le phénomène anglais de supporters direct, mais n’hésitez pas à nous en dire plus, cela doit être intressant.

    Amitiés sportives

    Yannick, le docteur ès sport

  5. Yo dit :

    merci pour ces infos!

    cependant, j’ai un peu de mal à saisir un point… j’ai lu qu’aucun club espagnol n’était présent sur le marché boursier. Comment les actions des clubs peuvent-elles alors s’acheter ?
    Les supporters peuvent-ils donc acheter des actions de leur club, et détenir ainsi un droit de vote?

    je continue de me renseigner sur supporters direct, et je ne manquerai pas de vous tenir au courant!

  6. admin dit :

    Bonsoir,

    Je vais interroger des amis avocats espagnols qui me redonneront précisément les éléments qui vous interessent. Je vous tiens informé.
    Amitiés
    Yannick

  7. DIDIER DOSSAT dit :

    C’est tout à fait juste pour des clubs dont l’exisitence est ancienne, car la passion, l’implication des joueurs, anciens joueurs, accompagnateurs, supporters, des parents de joueurs et ce parfois sur plusieurs générations, est incarnées par le club et le maillot. L’appropriation de ce maillot et par là même du club, au sens économique et juridique du terme par certains dirigeants de SAOS est inadmissible. Cela revient à privatiser la passion d’un sport, d’un club.

    Ce procédé est au sport ce que la prostitution est à l’amour !

    Une gouvernace au sens démocratique du terme est donc à trouver pour ce type de club.

    C’est particulièrement vrai pour le rugby où apparait un paradoxe important entre les discours sur « l’esprit rugby » et le mode de gestion  des SAOS récemment crées.

    Il est donc important de retrouver une « gouvernance » des clubs démocratiques. Ceci est d’autant plus justifié que ces clubs pour une part importantes vivent de denniers publics ou grace aux installations mises à leur dipositions par les collectivités locales. C’est le cas pour le Montpellier Hérault Rugby Club qui dispose désormai du stade Yves Dumanoirentièrement réservé au rugby et dont le coût de construction est supérieurr à 63 millions d’Euros.

    Par contre certain club comme le Stade Français ont une histoire plus récente et existent par l’impusion d’un seul homme. Dans ce cas là la question de « gouvernance démocratique » ne se pose pas de la même manière.

  8. Yannick dit :

    Bonjour,

    Juste pour vous informer que j’ai modifié une partie de phrase du précédent commentaire qui aurait pu être mal interprêtée (en italique). La liberté d’expression étant ce qu’elle est, je préfère ne pas prendre de risque.

    Je m’en excuse auprès de l’auteur du commentaire et des lecteurs de ce blog.

    Cordialement

    Yannick, le Docteur ès sport

  9. Encyclosport dit :

    Un autre gars particulier de gouvernance existe dans le sport nord-américain : l’équipe de football US des Green Bay Packers. Ce sont les supporteurs qui possèdent l’équipe (cf. article du Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Packers_de_Green_Bay).

    Il faut dire que Green Bay est le plus petit marché de la NFL aux Etats-Unis. Un petit nombre d’actionnaires aurait eu donc vite fait de déménager cette franchise à succès dans une ville commercialement intéressante.

    D’après le Wikipedia anglophone, la structure économique des Packers repose sur 4750925 actions possédées par 111967 actionnaires qui ne reçoivent aucun dividende.